A la fin du VIe siècle, l'Empereur Maurice (582-602) est à l'initiative de fêtes religieuses commémorative sur plusieurs jours dans la cour de l'église Ste Sophie à Byzance. Poésie et expression dramatique sont à l'honneur, par exemple avec l'épisode des "Enfants dans la fournaise". A partir de ce moment, les mélodes (poètes) composeront pour les fêtes des poèmes, des cantiques, des épisodes dramatisés. Ce courant durera jusqu'à la fin du IXe siècle pour laisser place à de véritables drames qui seront joués dans l'église et non plus au cours des fêtes à l'extérieur des lieux de culte[2]. Des décors et des mises en scènes bien définies correspondront à certains épisodes de l'Évangile. En particulier, au cours d'un office appelé "office de l'encensement" se déroulait le court dialogue des femmes aux tombeaux au moment de l'annonce de la résurrection de Jésus. Cet "ajout dramatisé" à l'office, qu'on appelle parfois "trope dramatisé" est passé en occident avant le Xe siècle. Nous en reparlerons plus loin.
Aux
alentours du Xe siècle on trouve aussi dans les offices des jeux scéniques
illustrant des moments liturgiques, par exemple
Plus tard on multipliera les scènes évangéliques jusqu'à donner une forme très développée à un récit comme celui du lavement des pieds suivi du combat de Jésus à Gethsémané, dont la fusion avec la liturgie est surprenante :
Un lecteur chante les parties narratives,
pendant que Jésus personnifié par l'évêque
lave les pieds de douze prêtres représentant les disciples. Le court dialogue
entre le Christ et Pierre, quand celui-ci refuse que son Maître lui lave les
pieds, est chanté par les personnages respectifs. Ensuite, au Jardin des
Oliviers où Jésus prie la face contre terre, alors que ses disciples se sont
endormis, l'évêque prosterné sur le sol chante la phrase de Jésus : « Père,
s'il est possible, que cette coupe passe loin de moi ». Près de lui, les trois
prêtres allongés paraissent dormir.
Dans cet exemple, la lecture de l'évangile
est dramatisée sans que le texte en soit modifié. L'action est rendue visible
par les déplacements et la répartition des rôles. Cela dit, par le chant et
le rythme de l'action on sent que les officiants "ne jouent pas" le récit,
mais qu'ils commémorent un épisode évangélique en "déployant" son
sens profond.
Avant
même les "chansons de gestes", les contes et les récits de toutes
sortes n'ont certainement pas cessé d'être racontés. Certaines informations,
sous des formes "romancées" circulaient de grange en village, de
porche d'église en rassemblement, au cours des fêtes ou des veillées. D'autre
part, les lectures de l'Evangile, en latin, n'étant plus comprises depuis
longtemps par le peuple, le récit des épisodes principaux de
Qui étaient ces voix ? Celles des jongleurs dont nous reparlerons plus loin en ce qui concerne les Passions.
Donc,
avant même que le jeu dramatique entre dans l'église, on peut le trouver sous
le porche, dans le monastère, devant une cheminée ou au cours d'une
procession. Les jongleurs ont certainement canalisé le besoin d'entendre le récit
sous des formes étoffées propices à l'émotion ou l'étonnement.
Les
jongleurs, tour à tour conteurs, chanteurs et mimes racontaient des vies de
saints et d'autres récits pieux. Quel fut leur rôle dans les premières
Passions ? Pour tenter une réponse, il nous faut partir de leurs ancêtres :
les mimes.
Les
mimes, si prisés dans l'antiquité romaine et qui savaient déclamer, danser et
chanter en passant d'un personnage à l'autre, transformant leur voix, imitant
toutes sortes de personnages, les mimes avaient disparu avec l'officialisation
du christianisme au IVe siècle. On les retrouve au début du Moyen âge. Dès
l'époque de Charlemagne, nous en avons des traces. Ils racontent les vies de
saints ou des récits profanes, on les appelle des "jongleurs". Leur
capacité à passer du narrateur au personnage, donc à raconter et à jouer
donne beaucoup de vie au texte. On peut donc trouver ainsi, à partir de
narrations ou de dialogues littéraires de véritables dramatisations. Ce procédé
pratiqué par un ou plusieurs mimes a pu être celui employé également dans la
présentation de comédies en latin au XIIe siècle, mais bien avant il semble
aussi avoir été utilisé pour "dire"
Mais
comment expliquer les parties narratives mêlées au dialogue ?
Je
pense qu'il peut y avoir plusieurs hypothèses :
-
Le texte narratif a pu être ajouté au dialogue après coup afin de faciliter
la compréhension de ce qui se passait sur scène. Des didascalies de l'éditeur
en quelque sorte. Ainsi, un lecteur qui n'avait pas vu la représentation, donc
à qui il manquait les déplacements et les gestes des acteurs pouvait
correctement suivre les événements racontés.
-
Le texte a pu être présent au début avec pour but de donner des indications
aux acteurs. Des didascalies pour les acteurs.
-
Le texte narratif a pu être effectivement dit sur scène par le "meneur de
jeu" présent au milieu de l'action. Plus tard, dans la représentation de
plusieurs mystères, cette présence du meneur de jeu est attestée. On aurait là
des textes pour le meneur de jeu.
-
Autre possibilité : ces textes étaient dits par l'acteur-jongleur dans des récitations
jouées par un ou plusieurs jongleurs. Ces "narrations dialoguées"
pouvaient ressembler au travail de conteurs "à plusieurs voix" comme
on peut encore en voir parfois aujourd'hui.
Nous
l'avons signalé, on connaît, dès avant le XIIIe siècle une "Passion
des jongleurs" dite, peut-être à plusieurs voix. Ce poème narratif
devint dramatisé et donc joué par des acteurs dans "
[1]
Ethérie, journal de voyage, Sources Chrétiennes, Le Cerf 1948.
[2]
Les monastères aussi développeront des expressions scéniques en de
nombreuses occasions de l'année.
[3] E. Faral, les jongleurs en France au Moyen Âge, Paris 1910, p. 233-234.
[4]
E. Faral, op. cit. p. 237